Le Magicien Ferragio

Eur wez a oa, ‘vel ma lârer alao
Pa ve c’hoant da gonta eur gaozic vihan vrao.

Il y avait une fois, comme on dit toujours,
Quand on veut conter un joli petit conte.

Il y avait une fois un comte du Poitou. Sa femme accoucha et lui donna une fille. On appela tous les magiciens connus pour lui tirer son horoscope. Il en vint de tous côtés, mais, ils n’étaient pas d’accord. Les uns prédisaient que l’enfant, qui s’appelait Marguerite, épouserait un roi ; d’autres prétendaient que ce serait un prince, d’autres, un duc ou un comte. Le père n’était guère satisfait de ce désaccord, et il fit bannir par tout le royaume que tous ceux qui savaient quelque chose en fait de prédiction n’avaient qu’à se rendre à son château, et ils seraient bien traités et bien rémunérés.
Il y avait en ce temps-là, dans les montagnes de Scrignac (1), un berger renommé dans tout le pays comme devin et un peu sorcier, et on venait le trouver de fort loin. Son nom était Gorvel. Il entendit les bannies, un jour de marché, à Morlaix, et se mit aussitôt en route vers le Poitou.
Arrivé au château du comte, on lui fit voir l’enfant. Il demanda un demi-verre d’eau et un demi verre de vin. Il mélangea les deux liquides, observa la manière dont se comporta le mélange et dit ensuite que l’enfant, à l’âge de douze ans, serait enlevée par le magicien Ferragio et délivrée par un de ses proches parents. Il prédit encore que, au bout d’un an, la comtesse donnerait le jour à un fils ; puis il ajouta que, si, les temps étant révolus, ses prédictions ne s’accomplissaient pas, il consentait à être mis à mort.
Le comte pria Gorvel de rester près de lui, et fit aussi venir sa femme et ses enfants.
La comtesse accoucha d’un fils, comme il l’avait prédit. Il fut nommé Hervé.
Aussitôt né, l’enfant fut confié à une nourrice, laquelle quitta avec lui le château, pendant quelque temps.
Cependant Marguerite approchait de ses douze ans et son père devenait soucieux et songeait aux moyens de la protéger contre le magicien Ferragio. Il plaça des gardes tout autour de son château et jusques sur le toit. Précautions inutiles. Quand vint le jour où la jeune fille accomplissait sa douzième année, comme elle se promenait avec sa gouvernante dans le jardin du château, tout-à-coup le ciel s’obscurcit, le tonnerre se fit entendre, et, du sein d’un nuage qui s’abaissa jusqu’à terre, descendit le magicien, qui l’enleva et partit aussitôt avec elle dans son nuage.
Grande désolation du père et de la mère.
Mais, occupons-nous à présent du jeune enfant que nous avons vu partir avec sa nourrice ; nous retrouverons plus tard Marguerite et le magicien.
Quand Hervé eut dix ans, on l’envoya à l’école, dans la ville voisine. Ses camarades ne l’appelaient que penher (fils unique), et il croyait bien qu’il n’avait ni frère ni sœur, et son père et sa mère ne lui avaient jamais dit non plus qu’il en eût. Cependant, un de ses condisciples ayant dit un jour aux autres : « Celui-là n’est pas penher, car il a une sœur, qui a été enlevée, à l’âge de douze ans, par le magicien Ferragio » ces paroles produisirent sur lui un singulier effet. Il fit un paquet de ses livres et de ses cahiers et s’en vint tout droit à la maison. Il demanda à son père si ce qu’il avait entendu était vrai, à savoir : qu’il avait une sœur, qui avait été enlevée, à l’âge de douze ans, par le magicien Ferragio. Son père lui avoua que c’était la vérité, et il dit alors qu’il voulait aller à la recherche de sa sœur, et qu’il ne reviendrait à la maison que lorsqu’il l’aurait trouvée et délivrée.
Il se fit construire un navire propre à aller par eau et par terre, et il partit en emmenant avec lui les deux fils de Gorvel le devin. Il demandait partout où se trouvait le château de Ferragio le magicien, et personne ne pouvait le lui dire. Ils vont, tantôt par terre, tantôt par mer, loin, bien loin, plus loin encore. Ils abordent à une île pour faire de l’eau. Ils y trouvent des oranges en abondance et en font provision, pour emporter sur leur navire. Ils s’engagent dans une belle avenue d’orangers chargés de fruits, sablée avec du sable d’or et à l’extrémité de cette avenue, ils rencontrent un château de cristal avec une porte en or ‘massif. Ils hésitent un moment s’ils doivent entrer dans ce château ou passer outre. Hervé se décide à entrer, et ses deux compagnons le suivent. Il frappe à la porte, et elle lui est ouverte par un vilain nain, lequel a une barbe qui fait sept fois le tour de son corps.
— Que demandes-tu ? Lui dit le nain, d’un ton insolent.
— Visiter ton château, lui répond Hervé.
— Pour cela il faut que tu te battes avec moi et que tu sois le plus fort.
— Eh bien ! Battons-nous, dit Hervé tranquillement.
Hervé le terrassa, non sans mal, et lui coupa la tête. – Mais, aussitôt parut un géant de dix-sept pieds de haut, qui lui dit :
— Ah ! Ver de terre, tu as tué mon frère, mais, c’est à moi que tu auras à faire, à présent.
Et le combat commença, terrible.
Hervé vint encore à bout de celui-là, et il lui trancha aussi la tête. Mais, un second géant, plus grand, parut alors et dit comme le premier :
— Ah ! Ver de terre, tu as tué mes deux frères ; mais moi, je vais t’avaler tout vif.
Et il s’avança sur lui, la bouche béante comme l’ouverture d’un four.
Hervé l’éventra, si bien que ses boyaux tombèrent par terre, et il lui coupa aussi la tête. Puis, il regarda autour de soi, en se demandant avec inquiétude : — « Est-ce qu’il y en a encore ? » car il n’en pouvait plus. Mais, il ne se présenta pas d’autre géant ni nain, et ils entrèrent tous les trois dans le château. Ils ne trouvèrent personne, dans la première pièce. Ils passèrent dans une seconde et y virent une table magnifiquement servie, avec les mets tout fumants et sentant bon, et personne autour de la table. Ils s’assoient et mangent et boivent à discrétion, servis par des mains invisibles. Puis, les mêmes mains, prenant des flambeaux, les conduisent à de belles chambres, où ils trouvent d’excellents lits de plume. Ils dorment tranquillement, jusqu’au lendemain matin, où ils sont éveillés par des cris de détresse poussés par une voix de femme. Ils se lèvent précipitamment, courent aux fenêtres, et voient avec étonnement le nain barbu que Hervé croyait avoir tué qui traînait une jeune fille par les cheveux, sur le pavé de la cour. Ils descendent pour lui porter secours ; mais, arrivés dans la cour, ils ne voient plus rien, ni nain, ni jeune fille.
Ils passèrent la journée au château, s’y trouvant bien, déjeunèrent, dînèrent, se promenèrent dans les jardins, qui étaient magnifiques, puis soupèrent et se couchèrent encore, sans avoir aperçu ni entendu nul être vivant.
Le lendemain matin, ils furent éveillés par les mêmes cris que la veille et virent encore le nain qui traînait la même jeune fille par les cheveux. Mais, quand ils arrivèrent dans la cour, et le nain et la jeune fille avaient encore disparu. Ils en étaient fort dépités.
La troisième nuit, ils se couchèrent tout habillés sur leurs lits, se levèrent un peu avant le jour, et quand les cris se firent encore entendre, au matin, ils se précipitèrent dans la cour. Hélas ! Ils arrivaient encore trop tard. Ils purent voir pourtant le nain soulever une grande dalle de pierre, au moyen d’un organeau qui y était scellé, et disparaître dessous avec la jeune fille. Ils coururent à la pierre, la soulevèrent avec peine et aperçurent un escalier de marbre, qui descendait profondément sous terre. Hervé dit à ses deux compagnons :
— Restez là ; moi, je vais descendre dans le souterrain, et si je ne reviens pas, au bout d’un an et un jour, vous retournerez auprès de mon père.
Et il descendit dans le trou. Il descendit, descendit, dans l’obscurité, et arriva enfin à un autre château, beaucoup plus beau que le premier. Il frappa à la porte et le nain qu’il avait vu maltraiter la jeune fille vint lui ouvrir.
— Que cherches-tu par ici, ver de terre ? Lui demanda le nain.
— Ma sœur, vilaine bête, répondit-il, sans peur.
— Ta sœur est bien ici, et tu ne l’auras pas.
— Je l’aurai, de gré ou de force.
Et le combat commence aussitôt.
Hervé tue aussi le nain et lui tranche la tête.
Mais, aussitôt sort de dessous terre un géant de vingt-deux pieds de haut, et le combat recommence. Le géant est aussi tué et décapité, et aussitôt un autre géant de vingt-cinq pieds de haut prend sa place. Il a le même sort que son frère.
Hervé pénétre alors dans le château. Il passe dans la salle à manger, où il trouve un bon dîner servi, et encore personne. Il avait faim, et il mange et boit en conséquence. Quand il a fini, une main invisible prend un flambeau sur la table et, s’avançant devant lui, elle le conduit à une chambre à coucher, où il trouve un excellent lit de plume.
Le lendemain matin, quand il descendit, il trouva encore un bon déjeuner servi, et ne fit pas plus de compliments que la veille pour en profiter. Puis, il alla se promener dans les jardins. Il y remarqua une petite loge, dans laquelle se tenait une petite vieille, qui avait deux dents longues comme le bras. Il l’aborda, la salua poliment et lui dit :
— Bonjour, grand’mére.
— Que cherches-tu par ici, ver de terre ? Lui demanda la vieille.
— Je cherche ma sœur, répondit-il, qui doit être par ici, quelque part.
— Hélas ! Mon pauvre enfant, si tu savais le danger auquel tu t’exposes, tu t’en irais bien vite ; tu es ici chez le grand magicien Ferragio.
— C’est lui précisément que je cherche, grand’mére.
— Sais-tu bien que Ferragio n’a qu’un seul endroit dans son corps où il puisse être atteint mortellement. Il faut le frapper au front. Mais, son front est garni de sept plaques de cuivre superposées, et il faut les traverser toutes pour le tuer.
— Eh bien ! Grand’mére, je traverserai de mon épée les sept plaques de cuivre et je tuerai Ferragio. Et là-dessus, il commença par tuer la vieille, qui était la mère du magicien.
Il retourna alors au château, et en visitant les salles et les chambres, il rencontra la jeune fille qu’il avait vu maltraiter par le nain, et elle lui dit : —Dans trois jours, le magicien Ferragio, qui est présentement absent, reviendra, et il te faudra, te battre contre lui, dès le lendemain, pour me retirer d’ici ; mais, voici un onguent que tu mettras sur tes blessures et qui les guérira instantanément. Je suis la fille du roi d’Espagne, et j’ai été enlevée par le magicien, qui me retient ici captive, depuis plusieurs années.
Hervé prit l’onguent, remercia la princesse et lui demanda des nouvelles de sa sœur.
— Ta sœur, lui dit-elle, n’est pas ici ; elle est dans le château du magicien Trubardo, et tu auras fort à faire pour la lui arracher.
La princesse s’en alla là-dessus. Au bout des trois jours, Ferragio arriva et il demanda à Hervé, dès qu’il le vit :
— Que cherches-tu par ici, avorton ?
— Ma sœur et la jeune princesse que j’ai vu maltraiter par un vilain nain, dans le château d’en-haut.
— Tu n’auras ni l’une ni l’autre, à moins que tu ne les gagnes à la pointe de ton épée.
— C’est ce que je compte bien faire.
— Vraiment, pauvre petit ! Eh bien ! Trouve-toi, demain matin, dans la cour du château et nous verrons.
Le lendemain, Hervé fut exact au rendez-vous. Le magicien envoya un taureau contre lui. L’animal, furieux, se précipita sur Hervé, tête baissée ; mais, il sut l’éviter, en se jetant de côté, et le taureau alla donner contre un mur où ses cornes s’enfoncèrent si profondément, qu’il ne pouvait plus les en retirer. Alors, Hervé le tua facilement.
— Ce n’est pas tout, lui dit le magicien, il faudra recommencer, demain matin.
— A demain matin donc, répondit Hervé, tranquillement.
Le lendemain, le magicien envoya contre lui un grand cheval furieux. Il tua aussi le cheval. Enfin, le troisième jour, il eut affaire à un serpent recouvert d’écaillés jaunâtres et qui vomissait du feu. Il finit aussi par en venir à bout, mais, avec bien du mal, et il le tua comme le taureau et le cheval.
— C’est bien, dit le magicien, en dissimulant sa colère et son inquiétude ; mais, à présent, c’est à moi-même que tu auras affaire. Retrouve-toi ici, demain matin, et nous en finirons avec toi. Et il s’en alla là-dessus.
La fille du roi d’Espagne vint trouver Hervé et lui dit :
— Tu es sorti heureusement et sans beaucoup de peine de ces trois épreuves ; mais, trois autres vont leur succéder, à présent, qui seront bien plus difficiles ; car c’est contre le magicien lui-même qu’il te faudra combattre. Aie confiance pourtant et bon courage, et, grâce à l’onguent magique que je t’ai donné, tu pourras encore te tirer d’affaire.
Le lendemain matin donc, le voilà aux prises avec le magicien en personne. Le combat fut long et terrible. Hervé fut souvent atteint mortellement ; mais, il mettait aussitôt un peu de son onguent sur la blessure et se trouvait guéri aussitôt. Il parvint à percer deux des sept plaques de cuivre qui garnissaient le front du magicien, et celui-ci se sentit faiblir un peu. Il continua pourtant de faire bonne contenance. Enfin, épuisés et n’en pouvant plus, de part et d’autres, ils convinrent de remettre la suite du combat au lendemain, et se retirèrent, chacun de son côté, pour se restaurer et se reposer.
Ils recommencèrent de plus belle, le lendemain, et si l’affaire avait été chaude, la veille, ce jour-là, elle le fut bien davantage. On se battit jusqu’au soir, et, au coucher du soleil, Hervé avait encore percé trois autres plaques de cuivre ; ce qui faisait cinq, avec les deux de la veille.
Le magicien, qui faiblissait, à mesure qu’on perçait les plaques de son front, demanda encore quartier jusqu’au lendemain, et Hervé, qui, de son côté, n’en pouvait plus, s’empressa d’y consentir.
Le troisième jour, ils étaient encore, dès le lever du soleil, en présence l’un de l’autre, et le combat recommença, plus terrible que jamais, car il fallait finir, ce jour-là, par la mort de l’un ou de l’autre des combattants. Hervé dut avoir recours souvent à son onguent, et le magicien, furieux de voir qu’il ne tombait pas, quelque terribles et mortels que fussent les coups qu’il lui portait, en perdait la tête et ses coups n’étaient plus aussi sûrs. Vers le coucher du soleil, Hervé parvint à percer les deux dernières plaques, et aussitôt le monstre s’affaissa sur lui-même et tomba à terre, roide mort. Pour plus de sûreté, Hervé lui trancha la tête et la jeta dans les fossés du château.
Aussitôt, on vit surgir de tous côtés des princesses, toutes plus belles les unes que les autres, et qui venaient remercier le vainqueur en lui disant, l’une : — « Venez avec moi chez mon père pour lui demander ma main ; je suis la fille de l’empereur de Turquie. » Une autre : — « Je suis la fille du roi de Perse ; » une troisième : — « Je suis la fille du roi de Naples, » et ainsi de suite. Hervé ne savait trop à laquelle entendre, tant elles étaient toutes jolies et gracieuses. Cependant, il se décida pour la fille du roi d’Espagne, laquelle lui avait procuré l’onguent magique qui lui fut si utile, dans ses combats avec le magicien. Toutes les autres princesses partirent, chacune de son côté, dans de beaux carrosses attelés de chevaux ailés, qui s’élevèrent dans l’air et les portèrent promptement dans leurs pays.
Hervé partit aussi, par la même voie, pour l’Espagne, avec sa protectrice. Mais, ils n’étaient pas encore loin, quand le ciel s’obscurcit tout d’un coup, et ils virent un nuage noir qui s’avançait sur eux, d’une façon menaçante.
— Hélas ! s’écria la princesse, à cette vue, c’est le géant Trubardo, frère de Ferragio, qui nous poursuit, sous cette forme.
Et à peine avait-elle prononcé ces paroles, que Trubardo, qui était aussi magicien, descendit du nuage, sous la forme du croissant de la lune, et l’enleva. Quant à Hervé, il fut précipité à terre et tomba dans une carrière. Quand il se releva de là, tout meurtri, il ne savait pas où il était, ni de quel côté il devait se diriger. Il alla au hasard, à la grâce de Dieu, et arriva dans la ville de Constantinople. Il se rendit immédiatement au palais de l’empereur et demanda de l’occupation. On le prit comme berger, et on lui recommanda de ne pas approcher avec son troupeau du château du magicien Trubardo, qui demeurait dans le voisinage et faisait trembler toute la ville.
Quand il entendit cela, il en fut content et ne songea plus qu’à reprendre la princesse espagnole au magicien. Mais, hélas ! Il n’avait pas d’armes, et il en était fort contrarié.
Un jour, qu’il était avec son troupeau sur une grande lande, il rencontra un vieillard à la barbe longue et blanche comme la neige et qui lui demanda s’il n’était pas encore las de garder les troupeaux en Turquie, et s’il ne désirait pas retourner dans son pays.
— Je retournerais volontiers chez mon père, répondit-il ; mais, je voudrais retrouver ma sœur auparavant et aussi la fille du roi d’Espagne, que le magicien Trubardo retient captives.
— Il faut alors les aller chercher chez le magicien Trubardo.
— Oui, mais il me faudrait des armes pour cela.
— Eh bien ! Voici une épée et une lance ; l’épée est celle avec laquelle saint Pierre coupa l’oreille de Malchus, et la lance est celle qui perça le côté gauche de Notre-Sauveur, sur la croix. Avec ces armes, tu peux marcher sans crainte contre le magicien. Il a un point noir dans la paume de la main gauche, et c’est là qu’il faut le frapper ; car c’est le seul endroit de son corps où il soit vulnérable.
— C’est bien, mais qui gardera mon troupeau, en mon absence ?
— Moi, sois tranquille à ce sujet,
Et Hervé prit l’épée et la lance et se rendit au château du magicien.
Il frappa à la porte. Elle s’ouvrit aussitôt et il se trouva en présence d’un géant de dix-huit pieds de haut, qui lui demanda :
— Que cherches-tu par ici, ver de terre ?
— La fille du roi d’Espagne, répondit-il, et ma sœur, la fille du comte du Poitou.
— Elles sont bien ici, en effet ; mais, tu ne les auras pas, à moins que tu ne me tues d’abord et le magicien Trubardo ensuite.
— Eh bien ! Je te tuerai et le magicien Trubardo aussi.
Et le combat commença aussitôt, et le géant fut bientôt tué, d’un coup de la lance sainte.
Hervé pénétra alors dans le château, et voyant une table bien servie, il s’y assit et mangea et but à discrétion. Quand il eût fini, une main invisible prit un flambeau sur la table et le conduisit à une chambre à coucher, où il dormit tranquille, dans un excellent lit de plume.
Le lendemain matin, il vit la porte de sa chambre s’ouvrir et la fille du roi d’Espagne entra et lui dit :
— Tu as bien tué le géant qui garde le château de Trubardo, en son absence ; mais, pour nie retirer d’ici, il te faut encore tuer le magicien lui-même.
— Je le tuerai ; où est-il ?
— Il est absent.
— Quand reviendra-t-il ?
— Je ne sais pas.
— Ne peut-on pas hâter son retour ?
— Si, tu n’as qu’à frapper un coup de marteau sur une boule de cuivre qui est près de la porte du château, et il arrivera aussitôt.
— En ce cas, je vais le faire revenir tout de suite.
Et Hervé descendit et déchargea un vigoureux coup sur la boule de cuivre, qui rendit un son retentissant.
On entendit aussitôt un grand bruit, dans l’air, et le magicien descendit dans la cour, du sein d’un nuage noir.
— Qu’y a-t-il de nouveau par ici ? demanda-t-il.
Rends-moi la fille du roi d’Espagne et ma sœur, la fille du comte du Poitou, lui dit Hervé.
— Tu n’auras ni l’une ni l’autre, répondit le magicien, à moins que tu ne m’ôtes la vie.
— Eh bien ! Je t’ôterai la vie, alors.
Et le combat commença aussitôt ; mais, il ne fut pas long, car du troisième coup, l’épée de Hervé atteignit le magicien dans le point noir qu’il avait à la paume de la main gauche, et il tomba aussitôt et expira.
Alors, on vit encore de belles princesses surgir de tous côtés et venir remercier Hervé de les avoir délivrées, et le prier de les accompagner jusque chez leurs pères pour demander leur main. Mais, il resta insensible à toutes leurs avances et séductions et retourna avec sa sœur et la princesse espagnole à la lande où il avait laissé son troupeau, sous la garde du vieillard qui lui avait fourni des armes. Mais, le vieillard n’était plus là, et il avait ramené le troupeau à l’étable (2). Ce que voyant, ils se mirent en route pour le Poitou.
Mais, que sont devenus les deux compagnons de Hervé, les fils du devin de Scrignac, qu’il avait laissés dans le château de Ferragio, quand il descendit dans le souterrain ?
Quand l’an et le jour furent accomplis, voyant que Hervé ne revenait pas, ils se rendirent à leur navire, levèrent l’ancre, et retournèrent aussi dans le Poitou, mais non sans emporter de grands trésors du château du magicien.
Hervé épousa la princesse espagnole, sa sœur épousa un frère de celle-ci, et les deux noces furent faites le môme jour, et il y eut de grands festins, des fêtes et des réjouissances publiques. Hervé devint, peu après, roi d’Espagne, à la mort de son beau-père.

Conté par Vincent Coat, ouvrier de la manufacture des tabacs de Morlaix. — Avril 1874.
 
 
(1) Commune de l’arrondissement de Morlaix.
(2) C’est à tort, croyons-nous, que le conteur fait disparaître le vieillard, sans nous apprendre qui il est. C’est sans doute le bon Dieu lui-même, qui intervient fréquemment, sous cette forme, dans les contes populaires. — Ce conte, comme quelques autres, peut appartenir aussi bien au cycle de la Recherche de la Princesse aux Cheveux d’Or et à celui du Magicien et sou valet, ou sa fille.

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